ACTION DE GROUPE CONTRE LES CONTRÔLES AU FACIÈS : DÉCISION DU CONSEIL D’ÉTAT

CONTRÔLES AU FACIÈS : LE CONSEIL D’ÉTAT RECONNAÎT LE MANQUEMENT, MAIS RENONCE À ENJOINDRE À L’ÉTAT D’Y METTRE UN TERME 

(Paris, le 11 octobre 2023) « Le Conseil d’État a reconnu aujourd’hui l’existence d’une pratique des contrôles d’identité discriminatoires constituant une méconnaissance caractérisée de l’interdiction des pratiques discriminatoires. Cependant, le Conseil d’État a décidé de ne pas user de son pouvoir pour ordonner à l’État de prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin », ont déclaré les six associations engagées dans une action de groupe sans précédent contre les contrôles au faciès en France. Les associations engagées dans l’action de groupe restent déterminées à poursuivre leur combat contre les discriminations policières. 

Les six associations engagées dans l’action de groupe pour mettre fin aux contrôles au faciès notent que la plus haute juridiction administrative française reconnaît « l’existence d’une pratique des contrôles d’identité motivés par des caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée, des personnes contrôlées »  et affirme que cette pratique ne se réduit pas « à des cas isolés ». Le Conseil d’État considère que cela constitue une « méconnaissance caractérisée de l’interdiction des pratiques discriminatoires ».

Lors de l’audience du 29 septembre, Me Antoine Lyon-Caen, avocat des associations requérantes, avait décrit ces contrôles au faciès comme un « fléau pour notre société tout entière ».

Cependant, les associations requérantes regrettent profondément que le Conseil d’État se soit déclaré impuissant à enjoindre à l’État de prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à cette pratique illégale. Cet arrêt du Conseil d’État est particulièrement douloureux pour les milliers de personnes qui font l’objet de contrôles d’identité abusifs au quotidien, avec leur lot de violences et d’humiliations. Les personnes concernées espéraient pouvoir compter sur la justice et le droit pour qu’enfin l’État respecte son obligation en vertu du droit international des droits humains de garantir le respect du principe de non-discrimination.

Cette pratique discriminatoire en France, a été largement documentée et dénoncée depuis des années par des associations de défense des droits humains, des scientifiques et des institutions indépendantes comme le Défenseur des droits ou la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe. L’arrêt du Conseil d’État, qui intervient après la décision de la Cour de Cassation de 2016 qui avait condamné l’État « pour faute lourde qui engage la responsabilité de l’État » dans cinq affaires de contrôles au faciès, marque une étape nouvelle et sans appel dans la reconnaissance de l’ampleur et de la sévérité du problème.

Les associations appellent le gouvernement français à sortir enfin de son déni de la pratique du profilage ethnique par la police, et de son obstination à prétendre que les contrôles d’identité au faciès ne seraient le résultat que de comportements individuels inappropriés de certains agents. Elles appellent les autorités françaises à prendre les mesures à même de s’attaquer efficacement à la nature systémique de cette pratique. Il est urgent que le gouvernementrespecte ses obligations en vertu du droit international des droits humains de cesser les discriminations, comme les instances nationales et internationales de protection des droits humains l’y ont maintes fois exhorté. 

Malgré les preuves présentées par les associations démontrant que les mesures prises par l’État pour mettre fin aux contrôles au faciès, (caméras piéton, plateforme de signalement de l’IGPN…) sont profondément inadéquates et insuffisantes pour faire cesser les pratiques discriminatoires systémiques de la police, le Conseil d’État n’a pas estimé possible d’ordonner des mesures nouvelles, considérant qu’il appartiendrait au législateur de les prendre. 

Les associations regrettent que le Conseil d’État ait laissé échapper une occasion cruciale de faire pleinement usage de la loi de 2016 sur l’action de groupe qui lui donne le pouvoir d’ordonner à l’État de prendre des mesures utiles pour faire cesser la discrimination dénoncée. En n’exigeant pas du gouvernement qu’il mette un terme à la discrimination raciale, jugée particulièrement « odieuse » par la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil d’État a montré qu’il ne prenait pas la mesure de la gravité de l’impact négatif de cette pratique sur la vie quotidienne des personnes concernées et sur la société toute entière.

En dépit de cet arrêt décevant du Conseil d’État, les associations requérantes entendent poursuivre sans relâche leur combat pour faire cesser la pratique des contrôles d’identité au faciès en France. 

Elles rappellent que ces contrôles abusifs inacceptables constituent une forme de racisme institutionnel, qui débouche dans de trop nombreux cas sur des violences physiques de la part de la police voire la mort de certaines personnes contrôlées. L’action de groupe initiée par les associations s’inscrit dans une longue histoire de mobilisation populaire et citoyenne contre les abus policiers, en particulier à l’encontre de jeunes des quartiers populaires ciblés de manière disproportionnée par ces abus. 

Les associations (Amnesty international France, Human Rights Watch, Open Society Justice initiative, MCDS, REAJI, PAZAPAS) et leur conseil, Me Lyon-Caen, réfléchissent dès à présent, aux suites qu’elles donneront à leur action.