Qu’est-ce que l’action de groupe ?

L’action initiée par AMNESTY INTERNATIONAL France, HUMAN RIGHTS WATCH, MAISON COMMUNAUTAIRE POUR UN DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE, OPEN SOCIETY JUSTICE INITIATIVE, PAZAPAS BELLEVILLE, REAJI, en se fondant sur l’expérience de personnes ciblées et de témoins de contrôles d’identité discriminatoires, est destinée à exiger de l’Etat qu’il prenne des mesures concrètes et efficaces pour faire cesser les contrôles au faciès.

Pourquoi cette action ?

Malgré la persistance des contrôles au faciès sur l’ensemble du territoire national et leurs impacts dévastateurs, l’Etat n’a pas pris les mesures nécessaires pour y mettre fin. Les gouvernements successifs se sont, en effet, contentés de déclarations incantatoires reconnaissant la pratique dénoncée sans jamais mettre en œuvre des mesures effectives et efficaces pour faire cesser ces pratiques discriminatoires généralisées. Des mesures fragmentaires ou inadaptées, telles comme l’utilisation de caméras piéton par la police, sont insuffisantes. Les associations co-requérantes ont donc décidé d’user de la nouvelle voie juridique ouverte par l’action de groupe pour obliger l’Etat à prendre enfin les mesures nécessaires.

Les demandes

Avec cette action de groupe, les associations veulent obtenir des mesures concrètes, efficaces et pérennes pour mettre un terme aux contrôles au faciès. Une discrimination systémique appelle une réponse systémique, c’est-à-dire d’agir à la fois sur les lois, les politiques, les pratiques et la culture de l’institution. Le droit des contrôles d’identité et la pratique policière doivent être transformés en profondeur.

I. Modifier le cadre légal

La pierre angulaire de cette réforme est la modification du cadre légal des contrôles. Le cadre actuel trop large et imprécis, laisse trop de pouvoirs discrétionnaires aux policiers et, ouvre la voie à l’arbitraire et la discrimination.

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CHANGER LA LOI
en particulier l’article 78-2 du Code de Procédure Pénale qui fixe le cadre légal des contrôles.

– Exiger comme condition du contrôle l’existence d’« un motif objectif et individualisé étranger à l’origine ou l’apparence des personnes ». – Supprimer les contrôles dits ‘administratifs’, qui autorisent les contrôles pour prévenir une atteinte à l’ordre public quel que soit le comportement de la personne contrôlée. – Affirmer clairement l’interdiction des contrôles d’identité discriminatoires. – Prendre des mesures spécifiques de protection des mineurs.

En savoir +

Il est anormal que la prohibition de toute discrimination dans le cadre des contrôles d’identité ne soit pas inscrite dans l’article 78-2 et suivant du Code de Procédure pénale. De surcroît, la rédaction actuelle de l’article 78-2 établit un cadre normatif imprécis et trop vague. Il octroie une large marge de pouvoir discrétionnaire aux agents de la force publique pour décider des personnes à contrôler sans avoir à justifier d’aucun motif précis, objectif et individuel pour ce choix. Par ce biais, il crée un terrain propice au développement de comportements discriminatoires et abusifs. Son alinéa 3 autorisant des contrôles d’identité administratifs, dits « préventifs », sert souvent d’alibi à l’arbitraire et la discrimination. Il permet les contrôles au vague motif de « prévenir une atteinte à l’ordre public » et ce, quel que soit le comportement de la personne contrôlée. Un tel contrôle porte en lui-même un risque majeur de contrôle arbitraire et discriminatoire, tout comportement humain pouvant être considéré par certains, comme un risque « d’atteinte à l’ordre public ». Seule sa suppression est donc envisageable. Malgré leur jeune âge, les mineurs figurent souvent parmi les cibles des contrôles d’identité discriminatoires. Selon le droit international, les enfants doivent faire l’objet d’une protection particulière. Pourtant, il n’existe actuellement aucune mesure dans le droit français, pour les contrôles les concernant.

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ADOPTER UNE CIRCULAIRE

qui explique, clairement et concrètement, ce cadre nouveau.

Une circulaire officielle destinée aux forces de l’ordre est gage d’une meilleure compréhension, et donc d’application sur le terrain, de ce nouveau cadre.  Elle affirme aussi expressément la volonté politique de mettre un terme aux pratiques opérationnelles de nature à favoriser la discrimination.

II. Obligation de transparence

Il n’existe en France aucun dispositif permettant de comptabiliser le nombre de contrôles, d’en vérifier les circonstances, ou d’évaluer leur usage. Les contrôles sont ainsi un « point aveugle » de l’activité policière. Malgré leur fréquence, il n’y a aucune d’obligation pour les policiers de justifier ou d’enregistrer l’usage de leur pouvoir de contrôle et une personne contrôlée ne reçoit aucun document qui atteste des conditions du contrôle. Cette absence de traçabilité favorise les discriminations, les forces de l’ordre n’ayant pas à justifier de leur action, et prive les victimes d’une trace écrite.

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INSTAURER UN DISPOSITIF D’ENREGISTREMENT ET DE TRACABILITE DES CONTROLES
rendant les contrôles plus transparents. Les forces de l’ordre devront :

– Enregistrer la date, l’heure et le lieu du contrôle, le fondement juridique et le motif du contrôle, le matricule de l’agent opérant le contrôle, les suites éventuelles, et l’origine de la personne contrôlée, selon sa propre déclaration si elle y consent (système d’auto-déclaration). Les données seront collectées de manière anonyme. – Remettre un document à la personne contrôlée incluant cette information ainsi que des éléments relatifs à son identité, utile pour une plainte éventuelle. – Transmettre les données anonymisées à une autorité indépendante, comme le Défenseur des Droits, en charge de la collecte, analyse et publication des données et de l’évaluation des mesures prises pour remédier aux contrôles discriminatoires.

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PERMETTRE UN CONTROLE PUBLIC DE L’USAGE DES POUVOIRS DE CONTRÔLES

– Publier les données anonymisées collectées lors des contrôles (voir la recommandation 3) pour permettre l’analyse par des chercheurs, associations ainsi que d’autres institutions ou personnes intéressées.

Publier les réquisitions du procureur autorisant les contrôles d’identité pour rechercher certaines infractions dans une zone territoriale spécifiée pendant la période de temps indiquée (l’article 78-2, alinéa 2 du Code de Procédure Pénale). Censé être exceptionnel, leur usage est devenu fréquent.  Une transparence sur leur usage s’impose.

Assurer une participation pleine et effective des personnes directement touchées par les contrôles d’identité discriminatoires afin, à terme, d’y intégrer leurs expériences dans l’élaboration des réformes, leur mise en œuvre et leur évaluation.

III. Renforcer les droits des victimes de contrôles d’identité au faciès

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CREER UN MECANISME DE PLAINTES EFFECTIF ET INDEPENDANT
– Créer la possibilité pour les personnes contrôlées de déposer plainte auprès d’une entité indépendante. L’indépendance doit être assurée tant pour l’entité qui sera amenée à statuer sur la plainte que pour les équipes chargées d’effectuer les recherches et enquêtes.
– Dans le cas d’une plainte « croisée » entre un agent des forces de l’ordre et un particulier, aux fins de s’assurer de l’équité de la procédure, les deux plaintes doivent faire l’objet d’une instruction commune afin que tous les éléments de preuve et les deux plaintes soient examinés en même temps, de manière exhaustive et impartiale.
– La ratification du protocole 12 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la non-discrimination

IV. Changer les pratiques des forces de l’ordre :

Afin d’assurer la mise en œuvre opérationnelle de l’interdiction des contrôles discriminatoires, des mesures doivent aussi transformer les pratiques et la culture organisationnelle de l’institution policière.

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REDEFINIR LES OBJECTIFS DE LA POLICE
qui entraînent des contrôles d’identité discriminatoires

– Supprimer tout objectif opérationnel dans l’activité policière qui favorise les contrôles au faciès (Par exemple les ordres d’expulser des « indésirables » de la voie publique, voir analyse de Magda Boutros sur l’affaire du 12ème arrondissement de Paris)

– Revoir les objectifs de performance quantitatifs qui poussent les agents multiplier les contrôles d’identité.

– Mettre fin aux contrôles d’identité comme mode d’interaction premier entre la police et la population. Le contrôle d’identité devrait être considéré comme un mode d’interaction exceptionnel.

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RENFORCER LA SUPERVISION

de la mise en œuvre des contrôles

Les superviseurs hiérarchiques des policiers devraient :

Evaluer les agents pour vérifier leur dépendance aux stéréotypes et en tenir compte pour leur évolution de carrière

Assurer un accompagnement et/ou des sanctions disciplinaires à l’égard des agents qui ne conforment pas à l’interdiction des discriminations.

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REPENSER LA FORMATION INITIALE ET CONTINUE
comme une mesure de soutien aux autres mesures

La formation est évidemment nécessaire pour accompagner tout changement. Néanmoins il faut souligner que la formation doit venir en complément et en soutien à l’ensemble des autres mesures préconisées. Les expériences étrangères montrent que seule elle ne suffit pas à produire les changements systémiques requis pour mettre un terme aux contrôles au faciès.

Repenser la formation, initiale et continue, de manière à assurer la compréhension des réformes. En particulier une telle formation doit aussi bien porter sur les obligations qui s’imposent aux agents (cadre juridique, dialogue, remise d’un justificatif de contrôle, collecte de données, sanctions …) que sur des instructions pratiques sur la mise en œuvre concrète et le respect des nouvelles procédures.

Donner une formation spécifique à tout agent susceptible d’être responsable d’une équipe de patrouille, portant sur l’encadrement des pratiques de contrôle.

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METTRE EN PLACE UNE PROCEDURE DE SUIVI ET D’EVALUATION

des mesures retenues avec la nomination d’une autorité indépendante.