Les principaux enjeux de l’action de groupe

D’abord faire reconnaître le caractère collectif du « contrôle au faciès » et sa nature systémique. C’est-à-dire, faire reconnaître que le problème est non seulement collectif dans son ampleur, mais de nature systémique. Autrement dit, qu’il ne s’agit pas d’actions isolées et individuelles de quelques policiers, de quelques « brebis galeuses », mais d’un problème qui résulte de procédures, de lois, de politiques, de pratiques conscientes ou inconscientes qui se reproduisent inlassablement et qui donnent lieu à d’innombrables contrôles d’identité discriminatoires chaque année avec toutes les conséquences néfastes qui en découlent.
Exiger une réponse concrète et efficace qui aura un impact sur le quotidien des personnes. A un problème de nature systémique, il est nécessaire d’apporter une réponse systémique, c’est-à-dire de mettre en place des mesures qui agissent sur toutes les causes de la discrimination raciale ici dénoncée. De telles mesures ne peuvent venir que de l’Etat.

Une réalité trop connue

Depuis des décennies, de nombreuses enquêtes menées par des organismes tant nationaux qu’européens et internationaux ont mis en évidence la fréquence des contrôles d’identité, palpations et fouilles discriminatoires visant les jeunes hommes issus des minorités visibles. L’étude de référence sur ces pratiques –« Police et Minorités Visibles »- a été menée en 2011 par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) français et publiée par l’Open Society Justice Initiative. Basée sur une méthodologie scientifique rigoureuse, elle a permis de confirmer que les contrôles d’identité effectués par les policiers se fondent principalement sur l’apparence : non pas sur ce que les gens font, mais sur ce qu’ils sont, ou paraissent être. Les individus perçus comme « noirs » et ceux perçus « arabes » étaient respectivement 6 et 8 fois plus contrôlés que les personnes d’apparence blanche.

Une enquête du Défenseur des Droits (2017) montre que les hommes perçus comme noirs ou arabes apparaissent cinq fois plus concernés par des contrôles fréquents . Si l’on prend également en compte la tranche d’âge, on constate que « 80 % des personnes correspondant au profil de « jeune homme perçu comme noir ou arabe » déclarent avoir été contrôlées dans les cinq dernières années (contre 16% pour le reste des enquêté.e.s). Par rapport à l’ensemble de la population, et toutes choses égales par ailleurs, ces profils ont ainsi une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés » En juin 2020, l’ONG Human Rights Watch (HRW) publie, au terme d’une enquête rigoureuse, un rapport accablant, intitulé « Ils nous parlent comme à des chiens » contrôles de police abusifs en France », dans lequel de jeunes garçons français noirs ou arabes témoignent des contrôles d’identité discriminatoires dont ils ont été victimes, parfois dès l’âge de 12 ans.

Il existe une multitude d’autres rapports qui documentent l’existence et l’ampleur de ces pratiques, entre autres :

– Rapport Défenseur des Droits, « discriminations et origine : l’urgence d’agir », 2020 – Ouvrage collectif publié par le Défenseur des Droits, « Les enquêtes du Défenseur des droits : Inégalités d’accès aux droits et discriminations en France », 2019 – Etude CNCDH, « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie », 2018 – Etude Sébastien Roché , « Des contrôles de police contre-productifs », revue « Pour la science », publiée en 2019 – Rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (« CNCDH »), publiée en 2016
– Rapport de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) « L’ordre et la force » publié en 2016 – Rapport Human Rights Watch, « La base de l’humiliation, les contrôles d’identité abusifs en France », publié en mars 2012; – Rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, France, 15 juin 2010 (partie relative à la “Conduite des Représentants de la loi”, pages 43 à 45); – Mémorandum de Thomas Hammarberg (Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe), faisant suite à sa visite en France du 21 au 23 mai 2008 ; – Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, France, « Données en bref Contrôles de police et minorités», 2010.

Des contrôles inefficaces aux impacts dévastateurs

De nombreuses études et récits de personnes contrôlées décrivent les effets dévastateurs des contrôles au faciès et des pratiques souvent illégales -fouilles, palpation, tutoiement- qui les accompagnent.

Humiliation, stigmatisation

« Bien souvent, je me sens humilié, comme si tout le monde me regardait, me dévisageait. » « Le regard des gens qui passaient sans être contrôlés, me pesait. Je me suis senti fautif d’être, moi » « C’est comme si on était marqué au fer. Quand on est noir on est stigmatisé. On nous rappelle tout le temps qu’on est né noir » « J’ai l’impression d’être une menace. Nous -les jeunes perçus comme noirs et arabes- ne sommes pas des sujets » Je ressens la « sensation d’être méprisé et avec des conséquences sur le reste de la journée (15 minutes de contrôle = on râte son bus, son train), énervement et humiliation car les autres nous regardent comme quelqu’un de coupable d’un délit »

Peur et insécurité permanente dans l’espace public

« Les contrôles répétés (..) ont créé un grand sentiment d’insécurité sur la voie publique. (…) Comment faire lorsque ceux qui sont censés nous protéger nous harcèlent et nous maltraitent ».

Remise en cause de sa citoyenneté

« Il y a des questions [lors de ces contrôles], je ne vois pas le sens. « Vous êtes né où ? » quand il a ton passeport. Ou « vous êtes Français ? ». Tout un tas de questions qui t’excluent quand même de la communauté. » « Ces contrôles au faciès « maintiennent, confirment, un statut à part de sous-citoyen. Ca rend impossible l’unité. Ca rend impossible l’intégration. Ca rend impossible le fait pour les jeunes de quartier, « issus de l’immigration » comme on dit, ceux qui sont visiblement d’ascendance africaine, de se sentir appartenir au reste du pays ».

Perte de confiance dans les institutions qui menace la cohésion nationale

« Quand tu es très jeune, la seule institution qui existe comme telle, c’est la police. ll y a d’autres institutions dans la vie d’un enfant, mais elles ne sont pas perçues comme tel. Forcément avoir un mauvais rapport avec cette institution va gâcher le rapport avec toutes les institutions. Quand tu es confronté à cette face sombre, tu ne crois plus au mythe de la République et du contrat social »

Ces contrôles ont aussi des effets dévastateurs sur les proches et les familles des personnes contrôlées

« En tant que maman (…), ces pratiques génèrent chez moi une grande angoisse à chaque fois que je sais mon fils en ville. J’ai peur qu’il soit placé en garde à vue, qu’il finisse par avoir un casier judiciaire, peur du dérapage, de la bavure, peur qu’il ne rentre pas intact ou qu’il ne rentre pas tout simplement »,

Des contrôles contre-productifs

A long terme, les contrôles au faciès détruisent la confiance entre la police et une partie de la population.

« Après avoir vécu ces contrôles abusifs, on a aucune confiance dans l’institution policière » Cette perte de confiance, génère un climat de tension et d’hostilité qui peut nuire à la coopération entre certaines populations stigmatisées et les forces de l’ordre. La sécurité et les conditions de travail de celles-ci s’en trouvent ainsi affectées. Ceci est largement document par un large corpus scientifique qui démontre le lien entre la perception par le public des pratiques policières comme injustes ou illégitimes et le moindre crédit accordé à la police. (Voir l’ensemble des théories sur la justice procédurale, par exemple ici)
Selon l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne : « Cela peut avoir comme effet de stigmatiser des groupes entiers et les amener à ne pas se présenter à la police lorsqu’ils deviennent victimes d’actes criminels. Cela crée un environnement hostile. L’hostilité peut conduire à l’agression et l’incitation à la violence. C’est un cercle vicieux qu’il faut briser »

Des contrôles inefficaces

Alors que les effets contre-productifs des contrôles sont largement documentés, il n’existe aucune preuve de leur efficacité sur la prévention et la recherche d’infractions.

En France, l’absence de statistiques nationales en matière de contrôles d’identité empêche toute possibilité de démontrer leur prétendue efficacité en matière lutte contre la délinquance.

Quelques expériences étrangères prouvent l’inefficacité de tels contrôles :

Aux États-Unis, de nombreuses études démontrent l’inefficacité des contrôles au faciès, autant que l’efficacité croissante de l’activité policière, quand les contrôles sont fondés sur des critères plus pertinents (comportementaux, renseignements à jour). 

Un exemple. En 1998 , les services douaniers des États-Unis ont modifié leurs procédures de contrôles pour éviter les biais discriminatoires et se fonder sur des critères liés au comportement des individus. A cette époque, 43 % des fouilles effectuées par les douanes concernaient des Afro-Américains ou des Américains d’origine hispanique. Dès l’année 2000, les disparités liées à l’origine ethnique en termes de fouilles aux douanes ont quasiment disparues. Les douanes effectuent désormais 75 % de fouilles en moins, et pourtant leur taux de succès est passé dans le même temps de moins de 5 % à plus de 13 %.

Des expériences pilotes d’instauration de délivrance d’une preuve du contrôle et d’encadrement des activités policières, mises en place en Espagne, en Hongrie et en Bulgarie ont aussi prouvé une efficacité croissante des contrôles lorsqu’ils sont fondés sur des critères objectifs et non sur des biais discriminatoires. A Fuenlebrada, ville de la banlieue de Madrid, sur une période de quatre mois, la fréquence des contrôles mensuels a chuté de plus de moitié (de 958 à 396) mais le pourcentage des contrôles avec saisie (c’est-à-dire de contrôles ayant conduit à la détection d’un acte criminel ou d’une infraction) est passé de 6 % à 28 %, puis à 40% cinq ans plus tard…