SUR L’INITIATIVE DE SIX ASSOCIATIONS TENDANT A CE QUE CESSENT LES CONTROLES D’IDENTITE AU FACIES EN FRANCE
Le 27 janvier 2021, six ONG nationales et internationales (la Maison communautaire pour un développement solidaire (MCDS), Pazapas, Réseau – Égalité, Antidiscrimination, Justice – interdisciplinaire (REAJI), Amnesty International France, Human Rights Watch et Open Society Justice Initiative ont inauguré la première action de groupe en France contre les contrôles d’identité discriminatoires ou contrôles dits au faciès, et mis en demeure le Premier ministre et les ministres de l’Intérieur et de la Justice de prendre les réformes structurelles nécessaires pour que cessent ces pratiques.
Un contrôle d’identité au faciès est un contrôle opéré à raison des caractéristiques physiques de la personne liée à son origine, qu’elle soit réelle ou supposée. De tels contrôles reposent sur un motif illicite. Ils sont donc discriminatoires. C’est pour que cesse cette pratique que cette initiative est lancée.
1- La pratique policière des contrôles d’identité au faciès
a/
• Cette pratique est ancienne et en même temps, d’une visible actualité.
• Cette pratique est généralisée. Elle s’observe partout à travers le pays.
• Cette pratique est connue (nombreux sont les articles, reportages, rapports, livres qui l’évoque), étudiée (nombreux travaux notamment de sociologues) et reconnue par des policiers et des responsables politiques (cf. Annexes 1 et 2).
b/
• Cette pratique est discriminatoire car ce sont des contrôles fondés sur « des caractéristiques physiques » de la personne contrôlée « associées à son origine réelle ou supposée ».
• Cette pratique est illégale au regard du droit français et du droit international des droits humains.
• Cette pratique est humiliante, dégradante. Elle crée notamment chez ceux qui la subissent le sentiment de n’être pas des citoyens comme les autres. Il convient de ne pas oublier que la discrimination raciale est, selon l’appréciation de la Cour européenne des droits de l’Homme, particulièrement « odieuse ».
2- L’initiative des organisations – Son originalité
a/ Pour qu’il soit mis fin à cette pratique, un ensemble d’organisations de terrain, nationales et internationales :
– Amnesty International France,
– Human Rights Watch,
– la Maison communautaire pour un développement solidaire (MCDS),
– Open Society Justice Initiative
– Pazapas Belleville,
– Réseau – Égalité, Antidiscrimination, Justice – interdisciplinaire (REAJI)
que réunissent leur engagement dans la lutte contre les discriminations et leur connaissance des discriminations raciales, ont décidé de faire usage d’une nouvelle procédure introduite dans le droit français en 2016 par la Loi de modernisation de la justice du 21ème siècle : l’action de groupe.
b/ L’exercice de cette action est réservé à des associations ou des syndicats expérimentés qui font valoir les atteintes à leur dignité et à leur liberté que subissent des personnes victimes de la discrimination.
L’action tend, en effet, à faire constater une discrimination frappant un ensemble de personnes, constitutive d’un manquement à ses obligations de la part de l’auteur de la discrimination et à lui imposer des mesures propres à la faire cesser (l’action de groupe peut alternativement ou cumulativement tendre à assurer l’indemnisation des victimes de la discrimination, ce qui n’est pas le cas ici).
c/ L’initiative des organisations est ici dirigée contre l’État français pris en la personne du Premier ministre, des ministres de l’Intérieur et de la Justice qui sont responsables de la conception et de l’exercice de l’action policière.
d/ L’action de groupe, selon la loi, est précédée d’une mise en demeure des responsables de la discrimination dénoncée. Cette mise en demeure, caractérisant le manquement dont les responsables sont les auteurs, leur enjoint de prendre les mesures propres à la cessation des contrôles d’identité au faciès.
Le Premier ministre, les ministres de l’Intérieur et de la Justice disposent de quatre (4) mois pour faire connaître, s’ils le souhaitent, leurs réponses, et, s’ils en décident ainsi, d’ouvrir des discussions sur les mesures à prendre.
Passé ce délai, en cas de silence ou de réponses insatisfaisantes du Premier ministre et des ministres, les organisations pourront saisir la justice.
3- Le premier objet de la mise en demeure : dénoncer la défaillance fautive de l’État
a/ Avec cette mise en demeure, les associations tiennent à souligner que cette pratique est généralisée, inscrite profondément dans l’action policière au point que la discrimination qu’elle constitue est systémique.
La mise en demeure comporte ainsi des témoignages nombreux de personnes qui ont fait l’objet de contrôles au faciès, des témoignages de personnes qui ont observé de tels contrôles et des témoignages de policiers qui ont rapporté leur expérience ; autant de présentations de cas individuels qui rappellent l’ampleur et la persistance de cette pratique.
b/ Cette pratique est connue et étudiée. D’importants travaux d’éminents sociologues, des études menées par des institutions indépendantes de défense des droits humains, et sous l’égide d’organisations en charge de défendre les droits humains, de récentes enquêtes établissent l’ampleur de cette pratique discriminatoire tandis que d’autres études montrent ses effets dévastateurs sur les victimes, parmi lesquelles des enfants parfois âgés de seulement douze ans.
La mise en demeure présente ces travaux, études et enquêtes.
c/ Cette pratique est condamnée tant par les institutions européennes et internationales de défense des droits humains que par les institutions françaises. Ainsi, à plusieurs reprises, le Défenseur des droits a dénoncé cette pratique et insiste pour qu’il y soit mis fin. La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, la Cour de cassation, a jugé en 2016, que l’interpellation de trois jeunes hommes à raison de leurs caractéristiques physiques associées à leur origine réelle ou supposée, constituait une faute lourde engageant la responsabilité de l’État. En août 2015, dans ses observations finales au terme du cinquième examen périodique de la France, le Comité des droits de l’homme des Nations- Unies a également exprimé sa préoccupation quant à la persistance du profilage racial.
d/ Le président de la République E. Macron, dans un entretien avec Brut le 4 décembre 2020, a admis et déploré, l’existence des contrôles d’identité « au faciès ».
4- L’objet ultime de la mise en demeure : exiger des réformes profondes pour que cessent les contrôles au faciès.
Cette grave défaillance fautive de l’État n’a pas été corrigée. Le manquement de l’État doit impérativement cesser, conformément aux obligations nationales et internationales de la France. Tel est l’objet ultime de la mise en demeure. Telle sera la demande soumise à la justice si la mise en demeure reste vaine.
Fortes de leur engagement dans la lutte contre les discriminations et de leurs connaissances et expériences dans le domaine de la discrimination raciale, les organisations demanderesses estiment que des réformes profondes sont nécessaires pour que cesse la discrimination systémique que constitue la pratique généralisée des contrôles d’identité au faciès.
Avec cette mise en demeure, les organisations appellent à la mise en œuvre d’un ensemble de mesures. Elles exigent notamment :
– la modification du Code de procédure pénale pour interdire explicitement la discrimination dans les contrôles d’identité, exclure les contrôles d’identité administratifs et circonscrire les pouvoirs de la police afin que les contrôles ne puissent être fondés que sur un soupçon objectif et individualisé ;
– l’adoption de règlements et d’instructions spécifiques pour les contrôles ciblant les mineurs ;
– la création d’un système d’enregistrement et d’évaluation des données relatives aux contrôles d’identité, et de mise à disposition de toute personne contrôlée d’une preuve de contrôle ;
– la création d’un mécanisme de plainte efficace et indépendant ;
– la ratification du protocole 12 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la non-discrimination ;
– des modifications des objectifs de la police, des instructions et de la formation de la police, notamment en ce qui concerne les interactions avec le public.
5- Observations complémentaires essentielles
a/ Les mesures dont les organisations exigent l’adoption et la mise en œuvre sont présentées en considération des connaissances et de l’expérience accumulées par elles. Elles considèrent qu’elles forment un tout indivisible.
b/ Seules ces mesures, combinées les unes aux autres, sont capables de mettre un terme à une discrimination systémique, c’est-à-dire inscrite dans le fonctionnement et les pratiques de la police.
Les organisations, avec cette qualification, signalent la gravité de la situation, le niveau où se situent les responsabilités, les caractères des actions à entreprendre.
Elles n’accusent pas les policiers pris individuellement, d’être racistes. Ils agissent dans un système qui a laissé ces pratiques se répandre et s’installer.
c/ Ce sont les rapports entre la police et la population qui dépendent, dans une large mesure, de l’accueil et de la destinée de cette mise en demeure.